Le mois d’octobre, comme chaque année depuis 1985, est marqué par l’opération « Octobre rose ». Cette campagne annuelle internationale de communication est destinée à sensibiliser au dépistage du cancer du sein et à récolter des fonds pour la recherche. L’occasion de revenir ce mois-ci, mois également de tenue à Paris des Journées Francophones de la Radiologie (JFR), sur le rôle du secteur public et sur l’adaptation de l’achat public à de nouveaux enjeux.
Le programme français lié au dépistage de ce cancer fait appel aux structures médicales existantes : les mammographies sont effectuées dans les cabinets de radiologie publics et privés. Ainsi les acheteurs publics (établissements de santé, collectivités locales, etc.) sont, pour nombre d’entre eux, impliqués par leurs actions dans l’acquisition et le déploiement de solutions de mammographie numérique. Ils doivent ainsi combiner des enjeux médicaux et économiques avec des obligations sanitaires (contrôle qualité), budgétaires, comptables et juridiques (Code de la commande publique). Les enjeux sont ainsi multiples pour les acheteurs publics mais aussi pour l’ensemble de la chaîne de valeur associée : juriste, comptable, etc.
Prise en compte des innovations croissantes et indispensables
Le secteur de l’imagerie médicale est en pleine mutation (cotation des actes, concentration des acteurs, disparités territoriales, démographie médicale, téléradiologie, etc.) et la crise sanitaire initiée en 2020 n’a pas contribué à les faciliter. Au-delà de ces considérations économiques et démographiques, l’imagerie médicale regroupe un ensemble de technologies médicales directement concernées par l’accélération des évolutions technologiques, l’introduction d’innovations, le développement de l’intelligence artificielle, la gestion des données de santé, leur hébergement et leur sécurisation. La mammographie, activité à part entière de la radiologie, est ainsi pleinement concernée et peut-être davantage encore, tant la sénologie demeure une spécialité médicale à part, y compris d’un point de vue réglementaire. Le rôle prépondérant du dépistage et du suivi des patients l’explique en grande partie.
Intégration des évolutions relatives au contrôle qualité
La décision du 15 janvier 2020 relative au contrôle qualité des installations de mammographie numérique est entrée en vigueur le 22 janvier 2021. Cette décision est plus complète que la décision de 2006 modifiée. Elle inclut désormais la tomosynthèse et vise à limiter l’usage des installations les moins performantes dans le cadre du programme de dépistage organisé du cancer du sein. L’objectif est d’apporter aux patientes une qualité d’image supérieure tout en limitant la dose reçue.
Cette décision a déjà des impacts significatifs sur le marché conduisant certains centres ou services à devoir anticiper le renouvellement de mammographes devenus « non conformes ». Certains équipements acquis dans le secteur public sont donc devenus tout simplement inutilisables avant même d’avoir été amortis ! Se pose ainsi la question de la rentabilité de cette approche en investissement mais aussi celle d’une mobilisation rapide et non prévue de crédit pour acquérir une solution plus récente et conforme aux exigences réglementaires. Au-delà de cette évolution de la réglementation, se pose ainsi à nouveau naturellement la question pour l’acheteur public de l’investissement, de la propriété et de l’amortissement de telles technologies.
Le maintien et développement de la mammographie dans le secteur public
Le secteur de la mammographie est lié aux évolutions technologiques et plus encore à une gestion du parc basée sur une approche en coût complet et sur une approche liée au parcours patient. Une approche qui rompt avec le « sacro-saint » modèle de l’investissement et de la propriété. Si le secteur privé peut intégrer plus aisément ce contexte, l’acheteur public doit composer avec des règles pas toujours adaptées à une approche en coût complet. Témoignons ainsi du retard pris en termes d’achat public dans le recours aux solutions locatives ou à l’usage ou encore aux règles de récupération de la TVA (FCTVA) appliquée aux collectivités locales et qui mathématiquement génère un écart significatif entre un achat et une location financière !
La circulaire du 26 février 2002 relative aux règles d’imputation des dépenses du secteur public local définit en effet les dépenses d’investissement comme des dépenses ayant pour résultat l’entrée d’un bien d’une certaine consistance dans le patrimoine de la collectivité et destiné à y rester. Ainsi, la performance de la prise en charge dans le secteur public, ne repose plus uniquement sur les spécificités intrinsèques du mammographe mais sur :
- Les évolutions apportées en matière de prise en charge (ergonomie, confort, bien-être de la patiente, sécurité, etc.)
- La fiabilité et reproductibilité du diagnostic avec l’émergence de l’intelligence artificielle notamment dans la détection précoce de lésions.
- L’attractivité opérée vis-à-vis des sénologues (technologies avancées, optimisation du parcours patient, automatisation de tâches, gestion et sécurisation des données médicales).
- La gestion des données et leur archivage sécurisé à terme.
- La pérennité, disponibilité et évolutivité de l’installation apportées par un fabricant mondial (évolutions, pièces détachées, etc.)
La valeur d’usage, une orientation incontournable
L’analyse des contraintes et des attentes dans ce secteur d’activité démontre la nécessité de bouleverser l’approche historique liée à l’achat du mammographe. Les éléments de contexte évoqués sont de nature désormais à le rendre potentiellement, rapidement obsolète. L’achat public a toujours eu pour objectif de servir l’intérêt général et de garantir l’efficience du service délivré. Le dépistage du cancer du sein plébiscité en ce mois d’octobre en est un exemple marquant. Assurer en tout lieu la même qualité de diagnostic et le même niveau de prise en charge est au cœur du programme français que la mammographie ait lieu dans le secteur privé ou dans le secteur public.
Favoriser l’introduction et le déploiement du meilleur de l’innovation (matériel, logiciel, services) est de la responsabilité des pouvoirs publics. Ceux-ci doivent désormais s’interroger dans le secteur médical mais plus largement dans tous les domaines de l’achat public sur la facilitation d’accès à ces nouveaux modèles économiques tant par la sensibilisation et formation des acteurs que par l’évolution de règles comptables et budgétaires potentiellement devenues obsolètes voire en contradiction avec les objectifs d’efficience du service public.
Sébastien Taupiac
Directeur du développement / Verso Healthcare